Vous pensez que vos joueurs sont en sécurité parce qu’ils dorment dans des draps en soie à l’auberge du “Griffon Doré” ? Erreur. La ville est l’environnement le plus dangereux d’un jeu de rôle, non pas à cause des voleurs, mais parce qu’elle donne un faux sentiment de sécurité.
Aujourd’hui, nous allons voir comment une tribu de monstres “faibles” peut, grâce à une discipline de fer et des tactiques de guérilla, expulser une population humanoïde entière sans jamais livrer une bataille rangée en plein jour. Préparez vos plans de cité, nous passons en mode “Siège Inversé”.
Guérilla Urbaine D&D : 3 Scénarios Concrets où les Monstres Reprennent la Ville

Dans D&D 5e (et autres systèmes), les aventuriers sont des machines à tuer conçues pour des rencontres de 3 à 5 rounds. Si vous lancez 20 gobelins sur eux, les gobelins meurent. Point.
Mais la guérilla ne se joue pas sur les PV (Points de Vie). Elle se joue sur les ressources et le moral. Pour chasser une population, les monstres doivent rendre le coût de la vie dans la cité supérieur à l’envie d’y rester. Ils doivent attaquer les trois piliers de la civilisation : le sentiment de sécurité, pouvoir se reposer dans un environnement controlé et l’eau.
Le Casus Belli : Pourquoi ils attaquent ?
Un monstre qui attaque « parce qu’il est méchant » est une outre à XP sans intérêt. Un monstre qui attaque pour une raison vitale est un adversaire terrifiant et un dilemme moral sur patte. Avant de lancer la première pierre, définissez la motivation de la tribu. Cela donnera une âme à votre campagne et ouvrira la porte à autre chose que le massacre.
La revendication territoriale : « Cette ville a été construite sur nos catacombes sacrées. » Les Kobolds ne sont pas des envahisseurs, ce sont des résistants.
La guerre par procuration : La cité rivale a payé grassement cette tribu de Gobelins pour déstabiliser l’économie locale sans impliquer son armée régulière.
La survie climatique : Une sécheresse ou une inondation a détruit l’habitat des Grungs. Ils ne veulent pas tuer les humains, ils veulent juste les faire partir pour occuper les réservoirs d’eau. C’est eux ou vous.
Les 7 principes de la guérilla version monstre
1. On ne gagne pas par la force, on gagne par les nerfs : épuiser la population, la milice, les ressources… et la patience des PJ. Une guérilla efficace ne cherche pas la bataille décisive. Elle cherche l’usure.
En jeu : mets en place une jauge de Tension de la cité (0 à 6).
Chaque événement grave et visible fait monter la jauge de +1.
À partir de 3 : couvre-feu, contrôles, méfiance généralisée
À 5 : émeutes, pillages, violences “préventives”
À 6 : effondrement social — évacuation forcée, pogrom, coup d’État ou abandon de la ville
Une cité ne tombe pas quand ses murs cèdent.
Elle tombe quand plus personne ne veut y vivre.
2. L’information vaut plus qu’un bélier : Les monstres qui gagnent savent où frapper, pas seulement qui frapper.
Cibles privilégiées :
- greniers, moulins, entrepôts
- puits, aqueducs, fontaines
- ponts, portes, carrefours
- registres, temples, guildes
- docks, convois, relais commerciaux
Une attaque bien renseignée produit plus d’effets qu’un assaut frontal raté.
Un pont détruit peut faire plus de dégâts qu’un massacre.
3. La mobilité bat la bravoure : Une guérilla ne tient jamais le terrain. Elle frappe, disparaît… puis frappe ailleurs.
- attaques courtes
- repli immédiat
- réapparition imprévisible
Règle simple pour le MJ :
si les PJ hésitent ou tardent, l’ennemi change de cible. Protéger un point, c’est en abandonner un autre.
4. Le sabotage est roi : La guérilla ne se joue pas sur les Points de Vie, mais sur la logistique.
Couper/perturber/voler :
Les accès à l’eau.
la nourriture des habitants ou de leur bétail.
- les chaines d’approvisionnement des ressources de construction (pierre de taille, bois,…).
les communications
Un bon sabotage ne tue personne… mais il force les PJ à dépenser des ressources, prendre des risques et faire des choix impossibles.
5. La ville est un donjon à l’envers : Ici, on ne “nettoie” pas des salles.
On protège des réseaux vitaux.
Les créatures qui mènent la guérilla exploitent :
Les égouts, là où personne ne veut aller.
Les caves, les greniers, les entrepots ou reposent les stocks et les réserves.
Les toits, difficile à surveiller, très pratique pour se déplacer à la faveur de la nuit et éviter la garde.
Les marchés, les lieux où la foule est dense et la panique facile à générer.
Les carrioles, les attelages où on peut se cacher ou faire rentrer du matériel.
Les ruelles sombres…
La cité est un organisme vivant. Les PJ doivent surveiller ce qui circule, ce qui alimente, ce qui relie… pas simplement éliminer des groupes de monstres.
6. La peur est une arme, la panique un multiplicateur : La terreur travaille mieux que n’importe quelle troupe.
Outils classiques :
Rumeurs persistantes.
Faux coupables.
Symboles inquiétants.
Menaces ciblées et crédibles.
- Empêcher les factions de la ville d’avoir des objectifs communs.
Une ville paniquée se détruit toute seule.
La guérilla n’a plus qu’à accompagner le mouvement.
7. Toujours une sortie : Une guérilla sans plan de repli devient un massacre inutile. Et se faire piéger quand on est plus faible en frontal met fin à l’histoire.
Prévoir toujours :
Des tunnels, ou issus de reppli.
Des caches de matériel.
Des faux-fuyants, des pistes trompeuses.
Des boucs émissaires plausibles.
- Brouiller les pistes de commandement, limiter les informations données aux saboteurs.
Des ennemis qui survivent reviennent. Et ceux qui reviennent deviennent des antagonistes récurrents et expérimentés.
Boîte à outils : les cibles préférées des monstres
| Cibles | Effets en ville | Exemple d’opérations | Contre-mesures pour les PJ |
|---|---|---|---|
| Eau (puits, aqueduc) | Maladies, colère | empoisonnement, obstruction | purifications, surveillance, piste des composants |
| Nourriture (greniers, moulins) | Famine, rationnement | incendie, vols nocturnes | patrouilles, escorte de convois |
| Sommeil | Erreurs, hystérie | cloches, cris, feux, harcèlement | gardes tournants, zones de silence, pièges |
| Confiance | Paranoïa | faux drapeau, rumeurs | enquête sociale, protéger des témoins |
| Mobilité (ponts, portes) | Quartiers isolés | sabotage de pont, éboulement | réparations, contre-sabotage |
| Autorité | Désorganisation | assassinat, chantage | protection, doubles, traque du réseau |
Cas pratique #1 : Les kobolds et l'éffondrement structurel
L’unité : Le Clan de la Dent Creuse.
Tactique : Sape, minage et saccage, sabotage géologique.
Objectif : Faire croire que la ville est maudite par la terre elle-même.
Les Kobolds sont physiquement faibles et sensibles à la lumière. Ils ne sortiront jamais dans les rues. Leur royaume, c’est ce qui se trouve sous les pavés.
Phase 1 : La préparation silencieuse
Pendant des semaines, les Kobolds ne volent rien. Ils utilisent leurs outils de minage et leur petite taille pour infiltrer le réseau d’égouts et les caves. Ils identifient les murs porteurs des bâtiments clés : la caserne, le temple, la banque. Ils utilisent des acides naturels ou des outils rudimentaires pour fragiliser les fondations, ne laissant que quelques étais en bois pour soutenir des bâtiments de plusieurs tonnes.
Phase 2 : La nuit des Gouffres (Scénario)
C’est une nuit de pluie torrentielle. Idéal pour couvrir les bruits. À un signal donné, les équipes de sapeurs Kobolds tirent les cordes attachées aux étais de soutènement sous trois bâtiments stratégiques simultanément.
La scène pour vos Joueurs : Les PJ sont à la taverne. Soudain, un grondement sourd fait trembler leurs chopes. Ce n’est pas un tremblement de terre. Dehors, c’est la panique. La tour de guet sud ne s’est pas effondrée : elle a été avalée. Elle s’est enfoncée de 10 mètres dans le sol, droit dans une cavité préparée. Lorsque les PJ accourent, le sol est instable. C’est ici que le piège se referme.
Mécanique de jeu : La zone est un terrain difficile. Tous les 1d4 rounds, une nouvelle section de rue s’effondre (Jet de Sauvegarde Dextérité DD 13 ou 2d6 dégâts contondants et chute dans la fosse).
L’Attaque : Les Kobolds ne sont pas visibles. Ils ont creusé des “meurtrières” de la taille d’un poing dans les murs du gouffre. Ils tirent à l’arbalète avec Avantage (car invisibles dans le noir complet des tunnels) sur ceux qui tentent de sauver les survivants, puis se replient instantanément.
Phase 3 : La Psychose
Le lendemain, aucun bâtiment n’est sûr. Les habitants dorment dans la rue par peur que leur toit ne les écrase. Le commerce s’arrête. Les Kobolds laissent des messages griffonnés : “Le sol a faim. Partez ou nourrissez-le.”
Cas pratique #2 : Les gobelins et la terreur incendiaire
Unité : La Tribu des Cendres Rieuses.
Tactique : Harcèlement nocturne, privation de sommeil et pyromanie ciblée. Objectif : Épuiser physiquement les défenseurs jusqu’à la faute grave.
Les Gobelins sont rapides, peuvent se cacher en action bonus et voient dans le noir. Ils vont transformer la ville en un enfer insaisissable.
Phase 1 : Le harcèlement sonore
Pendant trois nuits, il ne se passe « rien » de grave. Juste du bruit. Des hurlements, des chats torturés, des tambours frappés irrégulièrement à des endroits différents de la ville.
Mécanique pour les PJ : Chaque nuit, demandez un jet de sauvegarde de constitution (DD 10, puis 12, puis 14). En cas d’échec : pas de bénéfice du repos long. Les lanceurs de sorts ne récupèrent pas leurs emplacements. Les guerriers gagnent un niveau de Fatigue.
Phase 2 : L’opération “brasiers simultanés” (Scénario)
Les PJ sont épuisés (Niveau 1 ou 2 de fatigue). C’est là que l’attaque commence. Les Gobelins ne visent pas les gens, ils visent les stocks de nourriture et les écuries (le bois sec et la paille). Ils attaquent par groupes de trois : deux porteurs de torches, un archer pour couvrir.
La scène pour vos joueurs : Alors que les PJ somnolent, l’alarme sonne.
Au Nord : l’entrepôt de grain brûle.
Au Sud : l’étable du seigneur brûle.
À l’Est : le quartier pauvre commence à fumer. Les joueurs doivent choisir. Ils ne peuvent pas être partout.
Les pièges tactiques : Les Gobelins ont tendu des câbles à hauteur de tibias dans les ruelles sombres (DD 15 Perception passive pour voir). Si les PJ courent vers le feu, ils tombent (condition : À terre) et c’est là que les Gobelins cachés sur les toits attaquent avec avantage avant de fuir par les cheminées.
L’escalade : Chaque bâtiment sauvé coûte des ressources magiques (sorts de création d’eau, cône de froid). Une fois les PJ «à sec » de magie, les Gobelins mettent le feu à l’auberge des PJ.
Phase 3 : L’exode
Les habitants n’ont plus de nourriture (brûlée) et ne peuvent plus dormir (peur du feu). Ils commencent à charger des charrettes. Les Gobelins ne les attaquent pas à la sortie ; ils les regardent partir en riant depuis les ombres. Victoire par forfait.
Cas pratique #3 : Les Grungs et la guerre bactériologique
L’Unité : Le Cercle du Lotus Sombre.
La tactique : Empoisonnement des eaux et contamination progressive.
L’Objectif : Rendre la ville physiquement invivable.
Les Grungs (hommes-grenouilles) sont de parfaits saboteurs pour une ville traversée par une rivière ou dotée de puits. Ils n’ont pas besoin d’armes, leur peau est une arme.
Phase 1 : La contamination du bétail
Cela commence par les chevaux et les chiens. Ils deviennent léthargiques, vomissent, puis meurent. Les Grungs s’infiltrent la nuit par les canalisations (ils sont amphibies) et frottent leur peau toxique sur les seaux, les abreuvoirs et les réserves de viande salée.
Phase 2 : La Fièvre Verte (Scénario)
Les humanoïdes commencent à tomber malades. Ce n’est pas une attaque flashy, c’est une horreur lente. Les temples sont débordés. Les prêtres utilisent tous leurs sorts de Guérison des maladies sur les nobles, créant des émeutes chez les pauvres.
La scène pour vos joueurs : Les PJ sont convoqués par le bourgmestre. Il est en sueur, tremblant (il a la condition : empoisonné). Il leur demande d’enquêter sur la source. L’enquête mène au réservoir principal. L’eau est claire, mais mortelle.
La rencontre : Les Grungs ne sont pas dans la salle du réservoir, ils sont dans l’eau. Si les PJ s’approchent, les Grungs bondissent (saut de 7m), tentent d’appliquer le poison par contact, puis replongent.
La mécanique horrifique : Chaque PJ touché ou ayant bu de l’eau doit faire un JS Constitution DD 14 toutes les heures. Échec : Désavantage sur tous les jets d’attaque et de caractéristique. Au bout de 3 échecs : Paralysie. Les Grungs ne finissent pas les paralysés. Ils les laissent flotter dans le réservoir pour contaminer davantage l’eau avec la peur et la maladie.
Phase 3 : La quarantaine et la Fuite
La ville est déclarée en quarantaine. Les marchands ne viennent plus. La faim s’installe. Les gens fuient non pas un ennemi, mais la mort invisible. Les Grungs n’ont qu’à attendre que le dernier humain parte pour transformer les fontaines en nids.
Tableau Comparatif des Tactiques de Siège
| Type de Guérilla | Type de Joueurs ciblés | Compétences PJ les plus utiles | Niveau de létalité |
| Sape Kobold | Tacticiens, Ingénieurs | Investigation, Perception, Maçonnerie | Élevée (Dégâts de chute massifs) |
| Pyromanie Gobeline | Combattants, Bourrins | Athlétisme, Survie, Médecine | Moyenne (Épuisement progressif) |
| Toxine Grung | Enquêteurs, Rôlistes | Nature, Médecine, Alchimie | Basse (Mais handicapante) |
Mise en Pratique : Gérer la Frustration des Joueurs
Attention, ces tactiques sont frustrantes pour les joueurs habitués à l’héroïsme frontal. Voici comment garder le jeu “fun” :
1. Donnez-leur une chance de comprendre : Les PJ doivent trouver des indices.
Kobolds : Des débris de roche étranges près des égouts, des vibrations dans un verre d’eau.
Gobelins : Une odeur d’huile de lampe sur un chat errant, des traces de pas noirs de suie.
Grungs : Une teinte verdâtre subtile dans l’eau, des croassements inhabituels la nuit.
2. Créez un visage à l’ennemi : La guérilla est impersonnelle. Pour engager les joueurs, créez un ou des lieutenants identifiables.
Exemple : Sniveler le Brûleur, un gobelin pyromane qui porte le chapeau volé du barde du groupe. Les joueurs voudront sa peau, ce qui donne un objectif clair au milieu du chaos.
3. La victoire n’est pas l’extermination
Les joueurs gagnent s’ils arrivent à sécuriser la ville, pas forcément en tuant tous les monstres. S’ils inventent un système d’alarme magique ou s’ils purifient l’eau massivement, les monstres doivent comprendre que le coût est trop élevé et partir. Qui sait, vos joueurs ont peut-être une fibre diplomate. Ils peuvent peut-être trouver un compromis qui rapproche tout le monde?
Résolution : Contre-Attaque ou Diplomatie ?
Comment vos joueurs peuvent-ils sauver la ville ? Tuer tous les monstres est difficile dans une guérilla (ils fuient). Et quand bien même les personnages de vos joueurs arriveraient à mettre au point des systèmes de contre mesure suffisamment efficaces, ils auront tôt ou tard envie de partir de la ville pour retourner à leurs aventures… Il reste deux options :
1. La Contre-Insurrection (La méthode forte)
Les PJ doivent agir comme des forces spéciales.
Sécuriser l’info : Capturer un lieutenant vivant pour obtenir le plan des tunnels/cachettes.
Leurre : Organiser un faux convoi de vivres pour attirer les monstres dans une embuscade mortelle.
Couper la tête : Assassiner le chef de guerre monstrueux pour briser la cohésion de la tribu (les monstres sans chef se dispersent souvent).
2. La Voie diplomatique (la méthode subtile)
Si vous avez défini un Casus Belli solide (voir section 1), la diplomatie est possible.
Scène de Négociation : Les PJ rencontrent le chef monstrueux en terrain neutre.
Le Deal : « Rendez-nous les réservoirs d’eau, et nous convaincrons le Duc de vous céder la forêt du Nord et le lac qui la jouxte. »
Le coût politique : C’est une victoire amère. Les PJ ont sauvé la ville, mais les habitants les détestent pour avoir négocié avec les « monstres ». C’est un excellent levier de drama pour la suite de la campagne.