Le système Powered by the Apocalypse (PbtA) a redéfini le jeu de rôle narratif depuis une décennie. Né d’Apocalypse World en 2010, ce game design place la fiction au premier plan grâce à ses fameux moves et sa résolution à trois paliers (succès, succès à coût, échec).
Cet article plonge dans son histoire, décrypte ses mécaniques, analyse ses jeux emblématiques et explore son héritage tentaculaire, jusqu’aux systèmes de nouvelle génération comme Daggerheart qui en portent l’ADN. Découvrez pourquoi et comment cette philosophie a conquis le monde du JdR.La genèse du PBTA et contexte historique

Pour comprendre l’impact sismique d’Apocalypse World, il est essentiel de se souvenir du paysage du jeu de rôle sur table au début des années 2010. Le marché était dominé par des paradigmes de conception établis, souvent axés sur la simulation de mondes complexes ou la gamification de défis tactiques. Parallèlement, une scène indépendante dynamique, nourrie par des forums comme The Forge, explorait de nouvelles théories sur la manière dont les systèmes de règles influencent l’expérience de jeu. C’est dans ce creuset d’innovation qu’Apocalypse World, créé par D. Vincent Baker et Meguey Baker et publié par Lumpley Games en 2010, a fait son apparition. Une deuxième édition, intégrant officiellement Meguey Baker en tant que co-conceptrice, a été financée avec succès via Kickstarter en 2016, affinant davantage le système.
L’accueil critique fut immédiat et retentissant, propulsant le jeu bien au-delà d’un simple succès de niche. Apocalypse World a remporté une série de récompenses prestigieuses qui ont cimenté son statut de jalon majeur dans l’histoire du jeu de rôle. Il a été couronné Jeu de l’Année, Meilleur Support et Jeu le Plus Innovant aux Indie RPG Awards de 2010, a remporté le Golden Geek RPG of the Year en 2011, et a été désigné Meilleur Jeu de Rôle aux Lucca Comics & Games la même année. Cette reconnaissance critique a validé son approche radicale et a signalé un changement fondamental dans la conversation sur le design de jeux de rôle.
Les principes du Pbta original : Apocalypse World
Au cœur d’Apocalypse World se trouvent plusieurs innovations qui allaient devenir la fondation du framework “Powered by the Apocalypse” (PbtA). La mécanique de résolution centrale abandonne les dés polyédriques complexes pour un simple lancer de 2d6 + stat. Ce lancer produit une structure de résultats à trois niveaux : un résultat de 10 ou plus (10+) est un succès complet ; un résultat de 7 à 9 est un succès partiel, souvent accompagné d’un coût ou d’une complication ; et un résultat de 6 ou moins (6−) représente un échec qui permet au Maître de Cérémonie (MC) de faire une “manœuvre” (move), faisant avancer l’histoire de manière dramatique.
Le jeu a également introduit le concept de “Livrets” (Playbooks), qui sont bien plus que de simples fiches de personnage. Chaque livret représente un archétype du genre post-apocalyptique (le “Hardholder”, le “Gunlugger”, etc.) et fournit non seulement des capacités uniques, mais implique aussi directement les joueurs dans la création collaborative du monde dès le départ. En choisissant le Hardholder, un joueur définit la nature de la colonie locale, son apparence et sa population. Ce processus intègre les thèmes centraux du jeu, la survie et les relations, directement dans la structure narrative.
Cependant, l’innovation la plus durable et la plus influente d’Apocalypse World n’était pas une mécanique, mais une politique. Les Baker ont explicitement invité d’autres créateurs à “hacker” leur jeu, à s’en inspirer et à publier leurs propres créations. Cette invitation, plus que le jeu lui-même, est considérée comme le véritable héritage d’Apocalypse World pour la scène indépendante. Cette philosophie open-source a déclenché une prolifération massive de jeux PbtA, qui se comptent aujourd’hui par centaines, voire par milliers, et a catalysé un “épanouissement des créateurs de JDR indépendants”.
En réalité, Apocalypse World n’a pas seulement introduit de nouvelles mécaniques ; il a codifié un nouveau contrat social pour la table de jeu. Les JDR traditionnels positionnent souvent le meneur de jeu (MJ) comme l’unique arbitre de la réalité et l’auteur principal de l’intrigue. La conception d’Apocalypse World, à travers ses livrets collaboratifs et ses principes de MC (“Soyez fan des personnages”, “Jouez pour découvrir ce qui se passe”), a fondamentalement redistribué l’autorité narrative. Les règles ne servent pas seulement à résoudre des actions, mais à structurer une conversation créative spécifique, transformant la culture du jeu de rôle autant que sa mécanique.
Le paradigme "Fiction-First" : déconstruction du moteur PbtA
Le Principe de Lumpley ou “la primauté du récit” : La philosophie qui sous-tend toute la conception PbtA est le principe du “fiction-first” (la fiction d’abord). Ce concept renverse le flux traditionnel du jeu de rôle. Au lieu de déclarer une action mécanique (“Je veux faire un test de Perception”), de lancer les dés, puis de décrire le résultat, le joueur doit d’abord narrer ce que son personnage fait dans l’univers fictif du jeu. C’est seulement si cette narration correspond au déclencheur d’une “manœuvre” (move) que les règles et les dés entrent en jeu.
Cette idée fondamentale est connue sous le nom de “Principe de Lumpley”, d’après le pseudonyme de Vincent Baker sur les forums, ou de “Principe Baker-Boss”, en reconnaissance de son développement lors de conversations avec la créatrice Emily Care Boss.1 Ce principe postule que le jeu de rôle est un acte social où le groupe à la table, et non le texte des règles, autorise les résultats narratifs. Selon Baker, c’est ce principe qui distingue un jeu de rôle des autres types de jeux.
La “manœuvre” comme unité conversationnelle : Dans le framework PbtA, la “manœuvre” (move) n’est pas un simple test de compétence, mais une unité codifiée de la conversation du jeu. Chaque manœuvre est définie par un déclencheur fictionnel (“Quand vous faites X…”) et un résultat mécanique ou narratif. Les manœuvres regroupent différentes actions potentielles en une seule mécanique conçue pour émuler les tropes d’un genre spécifique. Par exemple, la manœuvre “Tailler en pièces” de Dungeon World est fondamentalement différente de “Prendre par la force” d’Apocalypse World car elles modélisent des priorités fictionnelles distinctes, l’une axée sur le combat héroïque, l’autre sur l’acquisition brutale de ressources rares.
Le véritable moteur narratif du système est le résultat 7-9. Ce “succès partiel” ou “succès à coût” garantit que l’histoire avance constamment en générant de nouvelles complications et des “choix difficiles”, plutôt que de s’arrêter sur un simple échec ou de se résoudre proprement par un succès total. Statistiquement, ce résultat est le plus probable sur un lancer de 2d6, ce qui signifie que le jeu est mathématiquement conçu pour générer perpétuellement du drame.
Le rôle du MC est également redéfini. Il ne lance jamais de dés. Au lieu de cela, il fait ses propres “manœuvres de MC” en réponse aux actions des joueurs, en particulier sur un résultat de 6 ou moins. Ces manœuvres sont guidées par un ensemble de principes (par exemple, “Rendre la vie des personnages aventureuse”) et un agenda, forçant le MC à agir comme un agent réactif au sein de la fiction plutôt que comme un conteur qui a pré-écrit une histoire.
Ce framework PbtA est fondamentalement un moteur de gestion de l’élan narratif. Le résultat 7-9 n’est pas tant un “succès partiel” qu’une “complication réussie” : il donne au joueur ce qu’il voulait tout en fournissant simultanément au MC un nouvel élément fictionnel légitime pour faire avancer l’intrigue. Cela crée une boucle de rétroaction auto-entretenue où l’action des joueurs génère des complications, qui à leur tour exigent de nouvelles actions de la part des joueurs. Contrairement aux JDR traditionnels où un échec peut stopper l’action net, le PbtA assure que le mouvement vers l’avant est l’état par défaut du jeu. Par conséquent, le MC est rarement obligé d'”inventer” une intrigue ; le système lui-même lui fournit constamment des conséquences et des opportunités narratives directement liées aux choix des joueurs, réduisant ainsi la charge créative de devoir générer une histoire ex nihilo.
Une croissance rapide des jdr basés sur le système Apocalypse : genre, adaptation et raffinement
Monsterhearts et la mécanique du mélodrame :
L’un des premiers et des plus brillants “hacks” d’Apocalypse World est Monsterhearts, qui a démontré l’incroyable adaptabilité du framework à un genre radicalement différent. Il est souvent cité comme l’un des premiers jeux PbtA à avoir véritablement compris la philosophie de conception sous-jacente, plutôt que de simplement copier-coller des mécaniques. Le jeu adapte le moteur PbtA pour modéliser le mélodrame adolescent teinté de surnaturel, se concentrant sur les relations compliquées, les désirs désordonnés et le chaos émotionnel.
L’innovation mécanique centrale de Monsterhearts est le système de “Faveurs” (Strings). Les Faveurs sont une forme de monnaie sociale qui représente l’emprise émotionnelle qu’un personnage a sur un autre. Elles sont gagnées grâce à des manœuvres comme “Allumer quelqu’un” (Turn Someone On) et peuvent être dépensées pour influencer le comportement, ajouter des bonus aux jets de dés, ou même forcer des actions. Cette mécanique “gamifie” avec élégance les dynamiques de pouvoir complexes et souvent toxiques des relations adolescentes. La deuxième édition du jeu a d’ailleurs affiné cette “économie des Faveurs” pour la rendre encore plus fluide et intrinsèquement liée à la fiction.
Masks et la codification de l’identité : Considéré par beaucoup comme “l’étalon-or” de la conception PbtA moderne, Masks: A New Generation illustre le niveau de sophistication que le framework peut atteindre. Le jeu traite de jeunes super-héros, mais son thème principal est la lutte pour l’identité à l’adolescence. Pour ce faire, il abandonne les statistiques traditionnelles (Force, Dextérité, etc.) au profit d'”Étiquettes” (Labels) : Monstre (Freak), Danger, Sauveur (Savior), Supérieur (Superior) et Banal (Mundane). Ces Étiquettes ne sont pas des mesures de capacité, mais des représentations de l’image de soi fluctuante d’un personnage.
Le système d’Étiquettes est dynamique. Ces statistiques ne sont pas statiques mais sont constamment modifiées, augmentées ou diminuées, par “l’Influence” que d’autres personnages, en particulier les adultes, exercent sur les héros. Un mentor qui réprimande un héros pour sa témérité peut mécaniquement augmenter son Étiquette “Danger” et diminuer son Étiquette “Sauveur”, ce qui a un impact direct sur ses capacités pour certaines actions. Cela crée une représentation mécanique de la pression des pairs, des attentes des adultes et de la quête de soi de l’adolescent.
De plus, Masks remplace les points de vie traditionnels par un système de “Conditions”. Les blessures sont représentées par des états émotionnels (Effrayé, En colère, Coupable, Désespéré, Incertain) qui imposent des pénalités mécaniques spécifiques à certaines manœuvres. Ces conditions ne sont pas guéries par le repos, mais en accomplissant des actions narratives spécifiques qui correspondent à cette émotion (par exemple, se débarrasser de la condition “Effrayé” en fuyant une menace), ce qui alimente directement le drame des personnages.
L’évolution d’Apocalypse World à Monsterhearts puis à Masks révèle une tendance cruciale dans la conception PbtA : un passage de la modélisation de conflits externes à la modélisation d’états internes. Les statistiques d’Apocalypse World (Cool, Hard, Hot) concernent la capacité d’action. Les Faveurs de Monsterhearts concernent le pouvoir interpersonnel. Les Étiquettes de Masks concernent la perception de soi. Cette progression démontre la sophistication croissante du framework dans l’utilisation de la mécanique pour représenter des concepts psychologiques et sociaux abstraits. Le pouvoir du PbtA ne réside pas tant dans son système de dés 2d6 que dans sa capacité à créer des métaphores mécaniques sur mesure qui s’alignent parfaitement avec le thème central d’un jeu. Les jeux PbtA les plus réussis sont ceux qui possèdent la métaphore centrale la plus puissante.
Évolution divergente : Forged in the Dark et le récit procédural
La naissance d’un nouveau framework : Pour comprendre l’ensemble du paysage influencé par PbtA, il est nécessaire d’examiner Blades in the Dark et le système Forged in the Dark (FitD), une ramification majeure qui a pris sa propre direction. FitD est explicitement un descendant de PbtA, mais ses divergences mécaniques sont si importantes qu’il est considéré comme une branche de conception à part entière.
Les différences mécaniques fondamentales sont notables. FitD utilise un système de pool de dés (lancer plusieurs d6 et ne garder que le meilleur résultat) au lieu du 2d6 + bonus Il remplace le concept fluide des manœuvres de MC par une conversation plus structurée sur les enjeux avant le lancer de dés, codifiée par la “Position” (à quel point est-ce risqué?) et “l’Effet” (quelle est l’ampleur de la réussite potentielle?).
Horloges, factions et structure : Les innovations clés de FitD le distinguent de son ancêtre PbtA. La mécanique de l'”Horloge de progression” (Progress Clock) est centrale. Là où PbtA laisse de nombreux obstacles non mesurés, FitD utilise des horloges pour suivre visuellement les progrès vers des objectifs à long terme, la résolution d’obstacles complexes ou l’approche de menaces imminentes. Ce concept est né dans Apocalypse World avec les “horloges de menace”, mais il est systématisé et rendu central dans FitD.
En résumé, les jeux FitD ont généralement un cadre de jeu plus codifié et une couche de “jeu de factions”, que les jeux PbtA laissent souvent se développer organiquement pendant la partie.27 Cette structure soutient le jeu en campagne à long terme, axé sur l’ascension de l’équipe des joueurs dans les rangs d’un monde souterrain criminel. L’introduction de mécaniques comme les “Flashbacks” et une phase de “Temps mort” (Downtime) structurée différencie encore davantage FitD, offrant une structure de jeu claire que PbtA ne possède souvent pas.
On peut comprendre Forged in the Dark comme une réponse directe à une critique courante du PbtA : son potentiel de manque de direction narrative dans le jeu à long terme. En introduisant des éléments procéduraux et structurés comme les Horloges, le Temps mort et les tours de Faction, FitD fournit un échafaudage mécanique pour des campagnes émergentes menées par les joueurs, un objectif que PbtA atteint par un flux purement conversationnel. FitD hybride l’éthique “fiction-first” du PbtA avec des éléments plus “gamistes”. Il ne rejette pas les principes PbtA, mais les systématise. Il prend les éléments conversationnels abstraits du PbtA (définir les enjeux, suivre les menaces) et les transforme en mécaniques explicites et visibles pour les joueurs, rendant le moteur narratif plus robuste et prévisible.
Les nouveaux hybrides : l'ADN du PbtA dans la nouvelle génération de JDR
Le jeu très médiatisé Daggerheart de Darrington Press est un excellent exemple d’hybride inspiré du PbtA, conçu pour un public grand public. Le jeu se décrit explicitement comme une expérience “fiction-first” qui facilite les “histoires émotionnellement engageantes et menées par les joueurs”, empruntant directement le langage et la philosophie du PbtA.
Sa mécanique de résolution de base, les “Dés de Dualité” (Duality Dice) à 2d12 (un dé d’Espoir et un dé de Peur), est une évolution directe du résultat 7-9 du PbtA. Le résultat n’est pas seulement déterminé par le succès ou l’échec face à un seuil de difficulté, mais aussi par le dé qui obtient le résultat le plus élevé. Un résultat élevé sur le dé d’Espoir génère de la méta-monnaie “Espoir” pour les joueurs, tandis qu’un résultat élevé sur le dé de Peur génère de la “Peur” pour le MJ. Ce système sépare le “succès” de la “complication” et transforme cette dernière en une ressource tangible pour le MJ.
Daggerheart mélange ce système de dés centré sur la narration avec des éléments de JDR plus traditionnels, comme des classes de type D&D (Barde, Druide, Gardien) et des statistiques analogues à la Force, la Dextérité, etc.. Cela crée une expérience plus “crunchy” (avec plus de règles et de détails mécaniques) qu’un jeu PbtA typique, visant un juste milieu entre la liberté narrative et la profondeur tactique. L’absence d’un système d’initiative strict est également un élément notable inspiré du PbtA.
Draw Steel – Action tactique, résultats à plusieurs niveaux
Draw Steel de MCDM illustre comment la philosophie de résolution du PbtA peut être adaptée à un style de jeu complètement différent. Draw Steel est explicitement un “JDR tactique destiné à être joué sur une grille”, axé sur des combats cinématiques et héroïques. Ses objectifs de conception sont très éloignés de l’improvisation narrative de la plupart des jeux PbtA.
La mécanique de résolution de base est le “Power Roll”, qui utilise 2d10 + modificateurs. Ce lancer génère l’un des trois “niveaux” de succès, ce qui est directement analogue à la structure 10+/7-9/6- du PbtA. Par exemple, dans Draw Steel, les attaques touchent toujours, mais le niveau de succès détermine le degré d’effet ou si une complication survient. Le jeu applique ce modèle de succès à plusieurs niveaux non seulement au combat, mais aussi à d’autres sous-systèmes comme la “Négociation” pour les rencontres sociales et les “Montages” pour les défis étendus. Cela démontre la modularité du concept de résolution PbtA, montrant qu’il peut être découplé du framework “fiction-first” complet pour servir des objectifs de conception très différents.
Caractéristique | Apocalypse World (2010) | Masks (2017) | Blades in the Dark (2017) | Daggerheart (2024) | Draw Steel (2025) |
Mécanique de Dés | 2d6 + stat | 2d6 + stat | Pool de d6 (garder le plus haut) | 2d12 (Espoir vs Peur) + mod | 2d10 +mod |
Niveaux de Succès | 10+ (succès), 7-9 (succès à coût), 6- (échec/manœuvre du MC) | 10+ (succès), 7-9 (succès à coût), 6- (manœuvre du MC) | 6 (succès), 4-5 (succès partiel), 1-3 (échec), Crit (2×6) | Succès/Échec + Espoir/Peur | 3 niveaux de succès |
Objectif Principal | Survie post-apocalyptique, narration émergente | Drame adolescent, exploration de l’identité | Braquages criminels, jeu en campagne structuré | Aventure fantastique héroïque et narrative | Combat tactique héroïque sur grille |
Innovation Clé | Codification du “fiction-first” et du succès à coût | Statistiques fluides (“Labels”) représentant l’image de soi | Position & Effet, Horloges, Flashbacks, Temps mort | Dualité Espoir/Peur comme méta-monnaie | Application de la résolution à plusieurs niveaux à un jeu tactique |
Une évaluation critique : forces, faiblesses et avenir du design "Fiction-First"
Le framework PbtA excelle à émuler un genre spécifique en concentrant ses mécaniques sur les tropes et les ressorts émotionnels clés de ce genre.8 Sa force réside dans sa conception ciblée et étroite. Il favorise des histoires menées par les joueurs, où les personnages sont proactifs et où l’intrigue émerge de leurs choix, créant une expérience de jeu dynamique et collaborative.
Critiques courantes et limitations : Malgré ses forces, le système PbtA présente des défis. Il dépend fortement de joueurs proactifs ; des joueurs passifs qui attendent que le MJ leur présente l’aventure peuvent faire caler le jeu. Cela peut imposer au MC la charge de gérer constamment la répartition de l’attention et d’impliquer les joueurs plus discrets.
Le flux constant de complications résultant des 7-9 peut parfois sembler punitif ou mener à des situations chaotiques et difficiles à gérer s’il n’est pas bien maîtrisé par le MC. Les joueurs axés sur la “victoire” ou l’évitement de l’échec peuvent trouver cette approche frustrante.
Une critique importante concerne l’existence de “manœuvres fourre-tout”, comme “Défier le danger” (Defy Danger) de Dungeon World. Celles-ci sont parfois considérées comme une faille de conception qui dilue l’orientation du jeu vers l’émulation de genre, revenant à un test de compétence générique et traditionnel et ramenant le MC à un simple rôle d’arbitre. Enfin, le principe du “fiction-first” peut sembler contraignant ou contre-intuitif pour les joueurs et les MJ habitués à des systèmes plus structurés, “rules-first”. Il exige un “désapprentissage” significatif des anciennes habitudes et une adhésion totale à la philosophie du système pour fonctionner comme prévu.
Le débat autour des “manœuvres fourre-tout” révèle la tension philosophique centrale au sein de la conception PbtA : le conflit entre l’émulation pure du genre et la jouabilité pratique. Un jeu avec des manœuvres parfaitement calibrées pour un genre serait un émulateur parfait, mais il deviendrait injouable dès qu’un joueur voudrait faire quelque chose en dehors de ces tropes étroits. La manœuvre fourre-tout est un compromis nécessaire, bien qu’imparfait: une soupape de sécurité qui reconnaît l’imprévisibilité des joueurs. Son existence est une concession au fait que l’émulation pure est peut-être impossible dans un médium véritablement interactif.
L’héritage durable : Au final, malgré ses limites, l’impact d’Apocalypse World et du framework PbtA est profond et indéniable. Il a fourni un langage de conception commun et un cadre flexible qui a donné du pouvoir à d’innombrables créateurs.6 Ses concepts fondamentaux : le positionnement “fiction-first”, les manœuvres comme déclencheurs conversationnels et le succès avec complication, ont imprégné l’espace de la conception de jeux. Comme le sugère l’analyse de Daggerheart et Draw Steel, son influence s’étend bien au-delà des hacks directs pour désormais influencer des systèmes majeurs et commerciaux. L’avenir de la conception des jeux de rôle sur table continuera d’être modelé par les conversations qui ont commencé, il y a plus de 15 ans, avec Apocalypse World.