Le jeu de rôle (JDR) est un média immersif par excellence, ce qui le rend particulièrement efficace pour le genre horrifique. Contrairement à un film où le public reste passif, en JDR chaque joueur incarne un personnage et vit l’histoire de l’intérieur.
Cette implication directe amplifie les émotions : la peur éprouvée est personnelle et intense, car le joueur craint pour la vie de son avatar tout en restant en sécurité dans son fauteuil. Un bon jeu de rôle d’horreur cherche avant tout à stimuler les participants – provoquer des sueurs froides, une pointe de malaise – sans jamais compromettre le plaisir de jouer. Grâce à la narration collective, aux descriptions détaillées et à l’imagination de chacun, l’horreur prend vie autour de la table. Un éclairage tamisé, une voix basse qui raconte l’indicible, et voilà les joueurs happés par l’ambiance, le cœur battant à chaque jet de dé. L’horreur fonctionne si bien en JDR parce qu’elle offre des frissons partagés et une expérience commune dont on se souvient longtemps, comme une histoire effrayante qu’on aurait réellement vécue entre amis.Mécaniques et ambiance : qu’est-ce qui rend un JDR effrayant ?

Qu’est-ce qui fait que, autour d’une table, on puisse trembler de peur tout autant que devant un film d’horreur ? Plusieurs ingrédients, à la fois mécaniques et narratifs, contribuent à rendre un JDR véritablement effrayant :
Le suspense et l’incertitude : Un bon scénario d’horreur doit distiller les informations au compte-gouttes. Les joueurs commencent souvent dans un environnement normal et rassurant, puis la menace surnaturelle ou meurtrière se révèle peu à peu. Il est efficace d’alterner les moments de calme et les montées en tension, en espaçant de plus en plus les instants de répit à mesure que l’histoire progresse vers son climax. Cette gestion du rythme est essentielle pour tenir les joueurs en haleine et faire grimper l’angoisse jusqu’au dénouement. Le mystère alimente également la peur : l’horreur s’intensifie quand les joueurs ne savent pas exactement à quoi ils ont affaire (quel monstre rôde ? qui sera la prochaine victime ? que se passera-t-il si on ouvre cette porte ?). La peur de l’inconnu pousse l’imagination à combler les vides, souvent par le pire scénario possible.
Des personnages vulnérables : L’horreur fonctionne mieux quand les protagonistes ne sont pas des super-héros invincibles. De nombreux JDR d’épouvante intègrent des mécaniques qui rappellent la fragilité des personnages face aux dangers. Par exemple, L’Appel de Cthulhu impose des pertes de Santé Mentale irréversibles – nul ne sort indemne de la confrontation avec Cthulhu et ses comparses. Dans Vampires ou Kult, la part d’ombre du personnage peut le submerger (frénésie sanguinaire, folie meurtrière) et ainsi le faire sombrer dans la monstruosité. Un système de jeu mortel, où le moindre combat peut être fatal, incite les joueurs à la prudence et renforce la tension. C’est le cas des jeux d’horreur façon survival (par ex. Chill ou Zombicide RPG) où les munitions sont comptées et la fuite souvent la meilleure option. À l’inverse, un jeu aux règles trop héroïques ou équilibrées atténuera la peur. Des mécaniques innovantes comme la tour Jenga de Dread – qui finit par s’écrouler – matérialisent admirablement cette vulnérabilité grandissante des personnages. En JDR d’horreur, l’échec et la mort font partie de l’expérience : accepter de perdre rend le jeu bien plus terrifiant.
Une immersion sensorielle : L’ambiance autour de la table joue un rôle immense pour plonger les joueurs dans l’horreur. Un meneur astucieux saura utiliser les cinq sens pour donner vie à son histoire. Visuellement, on peut tamiser les lumières, jouer à la lueur vacillante de quelques bougies, voire dans le noir complet si le jeu s’y prête. Cette obscurité réelle enveloppe les participants et les met dans de bonnes dispositions pour avoir peur (même si elle complique la lecture des fiches de perso !). L’ouïe est un sens tout aussi important : une musique d’ambiance bien choisie peut provoquer des frissons (bruitages d’orage, chuchotements, morceau angoissant au violon…). À certains moments clés, le silence total autour de la table sera encore plus efficace pour que chaque craquement de meuble fasse sursauter les joueurs. Le toucher et l’odorat peuvent être sollicités à travers des accessoires : tenir une vieille lettre jaunie tremblante entre ses mains, sentir l’odeur de bougie ou d’encens qui correspond à la scène (moisissure d’une crypte, parfum entêtant d’une sorcière…). Quelques objets disposés sur la table – un poignard factice, une peluche déchirée, une photo ancienne – renforcent le lien physique avec l’histoire. Ces éléments immersifs créent d’autres connexions sensorielles entre le joueur et le jeu, augmentant l’implication émotionnelle. En parlant aux sens, on court-circuite l’approche purement rationnelle du jeu et on permet à la peur de s’insinuer plus facilement.
Le roleplay et la complicité : Un JDR d’horreur réussi repose aussi sur la complicité entre le maître de jeu et les joueurs pour raconter ensemble une histoire qui fait peur. Le meneur doit encourager les joueurs à jouer le jeu de la peur – par exemple, en incarnant un personnage terrifié qui prend de mauvaises décisions sous l’effet de la panique, plutôt qu’en analysant froidement la situation comme un problème à résoudre. De leur côté, les joueurs doivent accepter d’avoir peur et de le montrer, ce qui peut vouloir dire mettre de côté les blagues ou le second degré pendant les scènes critiques afin de ne pas briser l’immersion. Le roleplay (interprétation) sincère des réactions de peur, de doute ou de désespoir de son personnage nourrit l’atmosphère générale. Par ailleurs, établir dès le début de la partie une confiance et éventuellement des limites claires (les thèmes à éviter si des joueurs ont des phobies ou des sensibilités particulières, par exemple) permet de se lâcher davantage dans l’horreur sans craindre de froisser ou traumatiser quelqu’un hors-jeu. Quand tout le monde est sur la même longueur d’onde, prêt à avoir peur pour de faux, alors le jeu peut vraiment décoller et offrir des séquences mémorables. Le maître de jeu peut se montrer impitoyable dans ses descriptions et événements (puisque les joueurs ont consenti à se faire peur) tout en veillant au plaisir de chacun. Au final, c’est cette alchimie collective – se faire mutuellement peur en se racontant des horreurs – qui fait la magie du JDR d’épouvante.

Le jeu de rôle d’horreur offre des sensations que peu d’autres loisirs peuvent égaler. C’est une occasion de vivre collectivement des émotions fortes dans un cadre sécurisé et maîtrisé. En explorant nos peurs à travers des personnages fictifs, on goûte au frisson de l’inconnu, on confronte l’indicible, tout en sachant qu’il s’agit d’un jeu – une catharsis ludique en somme. Jouer à se faire peur permet aussi de souder un groupe : ces nuits passées à affronter ensemble des monstres et à surmonter la panique créent des souvenirs impérissables entre amis. Par ailleurs, l’horreur en JDR peut être riche en enseignements et en thèmes profonds (la fragilité de la santé mentale, la critique sociale dans Vampire, la lutte désespérée mais noble de Delta Green, etc.), offrant bien plus qu’un simple divertissement gore.
Les grands classiques du genre JDR d’horreur

Plusieurs jeux de rôle cultes ont défini le genre horrifique en proposant des univers et des approches variés. Ces piliers – des années 1980 aux années 2000 – ont tous en commun de plonger les joueurs dans des cauchemars ludiques où la narration et l’atmosphère priment sur l’action héroïque. Tour d’horizon des classiques incontournables :
L’Appel de Cthulhu (Call of Cthulhu)
Créé en 1981 par Sandy Petersen, L’Appel de Cthulhu est sans doute le plus emblématique des JDR d’horreur lovecraftiens. Les joueurs y incarnent des investigateurs des années 1920 confrontés à des horreurs cosmiques indicibles issues des nouvelles de H.P. Lovecraft. La grande innovation de ce jeu est la gestion de la Santé Mentale : face aux monstres et révélations occultes, les personnages perdent peu à peu la raison. Il ne s’agit pas de vaincre les créatures par l’épée, mais de survivre en préservant son esprit. Atmosphère oppressante, enquêtes surnaturelles et fatalité tragique en font un jeu où la peur de l’inconnu est permanente. L’Appel de Cthulhu reste un indétrônable du JDR d’horreur, avec des campagnes cultes et de multiples éditions au fil des décennies.
Vampire : La Mascarade
Publiée en 1991, Vampire : La Mascarade transpose l’horreur dans un univers gothique-punk contemporain. Les joueurs y sont des vampires plongés dans le Monde des Ténèbres, une version sombre de notre société où clans de vampires, loups-garous et autres créatures conspirent dans l’ombre. Ce jeu a révolutionné le JDR en mettant l’accent sur le drame personnel et la narration plutôt que sur les règles et les combats. Incarnant des prédateurs nocturnes tiraillés entre leur Humanité et leur Bête intérieure, les joueurs explorent des thèmes de tragédie, de pouvoir et de malédiction. Vampire se démarque par son ton mature et politique (les intrigues de cour vampire), son système du Conteur centré sur l’histoire, et une atmosphère de déchéance romantique inspirée par Anne Rice et les films de vampires modernes. Un véritable classique qui a engendré tout un univers (le Monde des Ténèbres) et de nombreux jeux dérivés.
Kult - l'horreur la plus dérangeante...
Sorti en Suède en 1991, Kult s’est forgé une réputation de JDR le plus dérangeant de son époque. Son univers contemporain occulte, inspiré par le gnosticisme, postule que le monde que nous connaissons n’est qu’une illusion masquant d’atroces réalités métaphysiques. Les personnages – des gens ordinaires – découvrent peu à peu ce qui se cache « au-delà du Voile » et doivent affronter le choc psychologique de ces révélations. Kult explore des thèmes très matures (fanatisme, torture, folie, décadence) et aucun sujet n’y est tabou, ce qui lui a valu des avertissements et une interdiction aux mineurs dans ses premières éditions. Ambiances infernales, anges déchus et cultes nihilistes composent un cadre horrifique viscéral où la violence est crue et la psychologie des personnages est mise à rude épreuve. Ce jeu extrême a récemment ressuscité avec Kult : Divinity Lost, une édition moderne qui a remporté un beau succès critique.
Les tendances et jeux indépendants de dernières décénies...

Le jeu de rôle d’horreur connaît sans cesse un renouveau grâce à de nombreux fans du genre et des titres indépendants qui explorent de nouveaux formats, mécaniques et thèmes. Ces jeux innovants, souvent publiés via des financements participatifs, montrent que l’horreur ludique est un terrain d’expérimentation fertile. En voici quelques exemples marquants :
- Chill (1994) : Dans ce jeu de rôle d’horreur, les joueurs incarnent des agents de la S.A.V.E. (S.A.U.V.E en français), une organisation secrète luttant contre les créatures surnaturelles venues de l’Inconnu, une dimension parallèle. Le jeu n’est pas basé sur un auteur spécifique mais intègre des monstres issus de diverses traditions littéraires et folkloriques du monde entier, et peut se jouer à toutes les époques bien que l’époque contemporaine soit privilégiée.
- Delta Green (1997) : Né à l’origine comme un supplément publié pour L’Appel de Cthulhu, Delta Green a depuis évolué en un jeu à part entière mêlant horreur cosmique et thriller conspirationniste. L’action se déroule à l’époque contemporaine : les joueurs incarnent des agents (du FBI, de la CIA, militaires…) secrètement affiliés à Delta Green, une organisation clandestine qui lutte contre les menaces paranormales et les cultes inspirés du Mythe de Cthulhu. Imaginez X-Files ou True Detective croisés avec Lovecraft – enquêtes gouvernementales, manipulations, secrets indicibles. Le ton est à la paranoïa : les agents doivent souvent sacrifier leur santé mentale, leur carrière ou leur vie personnelle pour contenir l’horreur et éviter que la vérité ne se répande. Delta Green se distingue par sa lourde fatalité (les personnages souffrent de troubles mentaux, de stress post-traumatique, etc.) et par son ambiance de fin du monde feutrée (le Mal progresse malgré tous les efforts). Après une longue absence, le jeu est revenu en force dans les années 2010 avec de nouvelles éditions qui ont conquis les fans d’horreur lovecraftienne en manque de modernité.
- Dread : (2006) propose une approche unique de l’horreur en JDR en remplaçant les dés par… une tour de Jenga ! Les personnages sont définis par un questionnaire plutôt que des caractéristiques chiffrées, et chaque action risquée exige de retirer un bloc de la tour. La tension monte inexorablement à chaque pièce retirée, symbolisant le stress des survivants dans un scénario typiquement inspiré des films d’horreur. Si la tour s’effondre, le personnage du joueur fait une fin tragique. Dread se joue généralement en one-shot (une partie unique) pour raconter une histoire courte mais intense, comme un film d’épouvante. Ce système astucieux crée une peur physique chez les joueurs (leurs mains tremblent en même temps que leurs personnages paniquent) et garantit un destin funeste à tous – idéal pour un soir d’Halloween ! Avec son gameplay minimaliste et ingénieux, Dread a remporté plusieurs prix et prouvé que l’innovation peut amplifier l’horreur autour de la table.
- Ten Candles : Paru en 2015, Ten Candles (Dix Bougies) mise sur une mise en scène originale pour raconter une histoire de terreur tragique. On y joue les dernières heures de survivants coincés dans une apocalypse surnaturelle plongée dans le noir complet. La partie se déroule à la seule lueur de dix bougies allumées sur la table, qui sont éteintes une à une au fil du jeu… Chaque scène qui passe rapproche irrémédiablement les personnages de leur fin. Lorsqu’un personnage meurt, sa fiche est littéralement brûlée à la flamme d’une bougie, et quand la dernière bougie s’éteint, tous les survivants succombent. Le ton est donc au désespoir, au sacrifice et à la folie face à l’inévitable. Ten Candles ne prévoit aucune échappatoire pour les protagonistes, ce qui crée une atmosphère de fatalité poignante. Les mécanismes (jets de dés auxquels on retire des dés au fur et à mesure que les bougies s’éteignent) renforcent ce sentiment d’impuissance progressive. C’est un jeu sans préparation, idéal pour une soirée, qui offre une expérience émotionnelle intense et mémorable – on termine souvent la partie dans le silence, avec le froid de la cire fondue comme souvenir.
- Bluebeard’s Bride : Inspiré du conte de Barbe Bleue, Bluebeard’s Bride (2017) est un jeu de rôle d’horreur psychologique unique en son genre. Les joueurs n’y contrôlent pas chacun un personnage différent, mais incarnent ensemble la jeune mariée de Barbe Bleue, plus précisément les différentes facettes de sa psyché (la Fatale, la Mère, la Vierge, la Sorcière, etc.). Une joueuse endosse le rôle de la Mariée elle-même, fraîchement arrivée dans le manoir de Barbe Bleue, et le meneur de jeu (appelé ici le Gardien) décrit les pièces étranges et terrifiantes que la Mariée explore, malgré l’interdiction formelle d’ouvrir une certaine porte… Les autres joueurs, représentant les voix intérieures de la Mariée, débattent de la conduite à tenir : confiance ou méfiance envers le mari, curiosité ou prudence, etc.. Ce dispositif original crée une histoire gothique et féminine où l’horreur prend des formes intimes : apparitions fantomatiques, scènes de cruauté domestique, découvertes macabres derrière les portes closes du manoir. Bluebeard’s Bride aborde des thèmes de violence conjugale, de secrets meurtriers et de condition féminine avec une grande force symbolique. Le jeu utilise une version modifiée du système Powered by the Apocalypse pour résoudre les actions, mettant l’accent sur la narration partagée et les émotions. Encensé pour son originalité, il offre une expérience troublante, très différente de l’horreur “classique” : ici, pas de monstres à combattre, mais une exploration de la peur et du trauma dans un cadre de conte macabre.
- Mothership (2018) : SF horrifique dans le genre Alien/2001, mise sur un système simple (OSR) et des scénarios courts. L’idée centrale reste la vulnérabilité dans l’immensité hostile de l’espace, où l’isolement et l’ambiance suffocante forment un terreau idéal pour la peur.
- Alien (2019) : Dans l’espace, personne ne vous entendra crier, un slogan devenu culte grâce à la saga Alien. L’éditeur suedois, Free League Publishing lance Alien – The Roleplaying Game, transporte la tension claustrophobique des films dans un JDR immersif. Les joueurs incarnent des membres d’équipage luttant pour survivre face aux terrifiants Xénomorphes, piégés à bord d’un vaisseau ou d’une station spatiale à l’abandon. Ici c’est du JDR cinématique plus que jamais…
- Trophy Dark : un jeu indépendant (2019) qui plonge les joueurs dans une dark fantasy horrifique et poétique. Ils y incarnent un groupe de chasseurs de trésors s’enfonçant dans une forêt maudite… une forêt qui ne veut pas d’eux sur ses terres. Ce jeu narratif et collaboratif s’intéresse au destin tragique de ces aventuriers condamnés : plus ils avancent, plus la forêt les corrompt, les effraie et les pousse vers une fin terrible. La mécanique repose sur des jetons ou dés de rituel qui symbolisent la progression de la malédiction. Trophy Dark propose une expérience très scénarisée, presque littéraire, en cinq actes nommés anneaux (comme les cercles de la forêt) durant lesquels les joueurs décrivent les peurs grandissantes de leurs personnages. L’ambiance est à la fois mystérieuse et macabre, rappelant des récits comme Le Cœur des ténèbres ou le film Annihilation. C’est un jeu court et sans espoir de victoire, où l’intérêt réside dans la beauté tragique du voyage vers la perdition. Son succès a engendré une version étendue, Trophy Gold, pour des campagnes plus longues dans le même esprit, preuve que l’horreur intimiste a sa place dans le jeu de rôle moderne.
- Mörk Borg : Sorti en 2020, Mörk Borg est un ovni à la croisée du métal extrême et du jeu de rôle old-school. Ce JDR suédois à l’esthétique punk présente un monde apocalyptique sur le point de s’effondrer, où les personnages – des crapules désespérées – cherchent gloire et rédemption dans les ténèbres. Le livre de règles lui-même ressemble à un album de death metal, avec une mise en page flashy et des illustrations gore. Les mécaniques sont volontairement simples, rappelant le style OSR (Old School Renaissance), pour laisser la part belle à l’improvisation et à l’inattendu. Mörk Borg se décrit comme un “RPG d’heroic-fantasy apocalyptique, aussi sombre que la poix”. La mort y est fréquente, les miracles rares, et l’humour est noir comme la suie. Ce jeu prouve qu’on peut mélanger fantastique médiéval et horreur nihiliste avec brio, et qu’une direction artistique audacieuse peut enrichir l’expérience rôlistique.
Les jeux de rôle d’horreur français à (re)découvrir

Je ne vais pas m’essayer à tous les citer ou même faire un travail exhaustif, mais je vous livre une petite sélection par date qui je crois marque l’évolution du genre au pays de molière…
- Maléfices (1985) : les joueurs incarnent des membres du « Club Pythagore », une société secrète parisienne dédiée à l’étude de l’occulte et du paranormal. Le jeu se distingue par son souci du détail historique, plongeant les participants dans une époque où le rationnel côtoie l’ésotérique. Les scénarios s’inspirent de légendes locales, de superstitions et d’événements historiques, créant une atmosphère immersive et authentique.
L’une des particularités de Maléfices réside dans l’utilisation d’un jeu de tarot pour résoudre certaines actions, ajoutant une dimension mystique aux parties. - Hurlements (1989) : Créé par Jean-Luc et Valérie Bizien, Hurlements plonge les joueurs dans l’an mil, où ils incarnent des saltimbanques changeurs de forme. L’ambiance est désespérée, violente et suspicieuse, dans un cadre médiéval fantastique sombre. Le système est principalement narratif avec quelques jets de d100, mettant l’accent sur l’atmosphère plutôt que sur les règles. C’est du « narratif avant l’heure », un jeu qui privilégie la qualité de l’immersion à la complexité mécanique.
- La Méthode du Docteur Chestel (1991) : Ce jeu met en scène une expérience à la frontière du rêve et de la folie. Les personnages, réunis par le mystérieux Docteur Chestel, vont vivre une immersion psychologique hors du commun : l’exploration de mondes intérieurs cauchemardesques, issus de leur inconscient. Le ton est à l’horreur introspective, avec une touche de grotesque et de surréalisme. On navigue entre réalité clinique (asile, laboratoire) et dimensions oniriques perturbantes, ce qui crée une ambiance oppressante proche d’un film de David Lynch ou d’un récit de psychologie horrifique.
- Ecryme (1993) : L’humanité survit dans un environnement encerclé par l’Écryme, substance corrosive qui a transformé le monde. Le système de jeu repose sur des mécaniques assez traditionnelles, mais l’univers singulier est ce qui fait sa force – un mélange d’esthétique steampunk, d’intrigues politiques et d’horreur latente où les personnages naviguent entre survie et préservation de leur humanité.
- Hystoire de Fou (1998) : OVNI ludique, un jeu contemporain onirique où les personnages sont emportés dans une crise de folie collective. Tout commence dans un cadre réel banal, puis soudain l’univers bascule : les PJ se retrouvent affublés de costumes étranges, projetés dans un monde absurde régi par une logique de rêve (ou de cauchemar). L’atmosphère est donc à la fois fantastique et dérangeante, teintée d’un humour très noir. Les inspirations avouées vont de Lewis Carroll à Philip K. Dick, ce qui donne un mélange de nonsense, de satire et d’inquiétante étrangeté. L’horreur provient de la perte de repères et de la lutte pour revenir à la réalité saine d’esprit.
- Vermine (2004) : On y dépeint une survie horrifique post-apocalyptique dans un futur proche où la civilisation s’est effondrée, anéantie par la prolifération d’insectes et autres vermines mutantes. L’atmosphère y est oppressante et sauvage : la nature, devenue hostile et incontrôlée, a repris ses droits sur les villes en ruines. Les personnages incarnent les rares survivants humains qui luttent chaque jour pour subsister, face à des essaims de créatures insectoïdes géantes, des plantes carnivores, et parfois d’autres humains redevenus primitifs. L’horreur de Vermine est autant écologique (la terre elle-même semble venger les abus passés) que physique, avec des scènes de chasse ou de fuite dignes des meilleurs films de monstres.
- Patient 13 (2007) : Dans ce huis clos psychiatrique, les personnages amnésiques se réveillent dans un hôpital effrayant, où les phénomènes étranges se multiplient. Une plongée dans la folie et le doute, où l’identité même du personnage est un mystère.
- Notre Tombeau (2009) : Une mini campagne ou l’intrigue se déroule sur deux temporalités. Elle commence en 1885, à la mort de Victor Hugo, qui laisse derrière lui une œuvre inachevée intitulée « Pandemonium ». Ce manuscrit oublié raconte l’histoire de trois amis explorant les sous-sols de Paris et découvrant un trésor, mais un seul d’entre eux revient pour témoigner. À l’époque contemporaine, les personnages sont enlevés, battus et jetés dans un puits menant aux profondeurs. Contre toute attente, ils survivent et entament un périple dans un univers souterrain dangereux, avec pour unique objectif de retrouver la surface.
- Sombre (2009) : Minimaliste et brutal, il mise sur la survie dans des scénarios où la mort guette à chaque instant. Les choix moraux y sont souvent terribles, plongeant le groupe dans des dilemmes dignes d’un slasher.
- Crimes (2010) : Jeu d’enquête et d’horreur se déroulant à la fin du XIXe siècle, mettant l’accent sur les tensions sociales et la noirceur humaine plutôt que sur le surnaturel (bien qu’il puisse être présent). Le système est basé sur un pool de dés et des mécaniques narratives inspirées du cinéma.
- Les Ombres d’Esteren (2010) : un jeu de dark fantasy médiévale horrifique. Il dépeint un univers low-fantasy d’inspiration celtique, où les éléments fantastiques sont rares mais terrifiants. L’action se déroule dans de petites communautés isolées (monastères, villages de montagne) d’un continent brumeux rappelant vaguement la Bretagne ou l’Écosse médiévale. L’ambiance est profondément gothique et mélancolique : forêts immenses enveloppées de brume, anciens cultes païens cohabitant avec une religion monothéiste naissante, créatures tapies dans l’ombre des légendes. L’horreur est souvent subtile et psychologique, on y parle de peur de l’inconnu, de malédictions familiales, de folie qui guette les ermites; mais peut aussi prendre la forme de confrontations brutales avec des monstres surnaturels.
- Nécropolice (2012) : Jeu mêlant le policier contemporain et le surnaturel. Les joueurs incarnent des agents fédéraux de la “section Médium” de la police brésilienne, à Rio de nos jours, chargés de lutter contre les narcotrafiquants et le crime organisé… en utilisant leurs pouvoirs liés aux fantômes et aux morts.
- Within (2012) : Jeu d’horreur contemporaine avec un système sans dés, Within permet de mettre en scène tous les types d’horreur. Sa particularité est son traitement de la folie, qui n’est pas interprétée par les joueurs mais par le MJ, créant une confusion permanente entre réalité et délire. Le jeu fonctionne comme une boîte à outils d’horreur permettant d’explorer les thèmes qui vous intéressent, avec une préférence pour les ambiances à la Hellraiser ou la série Millennium.
- Knight (2015) : un jeu de rôle « futuriste d’horreur épique ». Son univers (la Terre en 2037 plongée dans les ténèbres de l’Anathème) et ses ennemis (les créatures cauchemardesques engendrées par cette obscurité) relèvent clairement de l’horreur, même si les personnages joueurs – des chevaliers en armures high-tech – sont très héroïques. Le ton du jeu mêle épouvante et action : les chevaliers de l’Ordre KNIGHT luttent désespérément pour protéger l’humanité d’une Nuit sans fin peuplée de monstres.
- Macadabre (2017) : Ce jeu se distingue par son approche old-school et son ton extrême. Il propose une expérience immersive où les joueurs (jusqu’à 12) « n’ayant pas peur de violenter leurs habitudes » explorent la province de Saint-Voile en 1936 et affrontent des « bestes » en risquant leurs âmes et leurs vies.
- Cthulhu Hack (2019) : Jeu d’horreur lovecraftienne où l’on incarne des « Investigateurs de l’Inconnu », des gens ordinaires plongés dans des mystères inspirés du mythe de Cthulhu et des horreurs cosmiques. L’action se situe généralement à l’époque contemporaine ou dans les années 1920, face à des créatures indicibles et cultes occultes. L’ambiance est celle d’une horreur surnaturelle insidieuse, mettant l’accent sur l’enquête et la montée de la tension jusqu’à la confrontation avec l’indicible. Propulsé par un système de jeu très léger et orienté sur la tension dérivé de l’OSR et du Black Hack.
- Channel Fear (2019) : Conçu comme une série télévisée d’enquêtes paranormales, Channel Fear propose des scénarios courts (jouables en 2h) où les joueurs incarnent une équipe d’enquêteurs travaillant pour une émission TV du câble américain. Chaque épisode est indépendant et comprend tout le nécessaire pour jouer, y compris une bande originale. C’est un excellent point d’entrée pour les novices du jeu de rôle d’horreur.
- Le Cabinet des Murmures (2020) : Jeu uchronique se déroulant à la fin du XIXe siècle, dans l’« Europe des Aigles », où le spiritisme et l’occultisme sont bien réels. Les joueurs y incarnent des esprits hantant le corps d’un médium dans une Europe alternative de 1880 dominée par un empire napoléonien ésotérique. L’ambiance mêle le fantastique gothique et le mystère occulte dans une atmosphère proche du roman gothique victorien (sociétés secrètes, reliques égyptiennes, etc.).
- Sins of the Father (2020) : Dans ce jeu à l’humour noir, votre famille a vendu votre âme avant votre naissance, vous obligeant à servir un Sombre Seigneur. Le système sans dés utilise des cartes qui représentent la puissance potentielle du personnage et sa capacité à contrôler sa destinée. Les thèmes abordés touchent aux recoins les plus sombres de l’âme humaine, explorant moralité, conscience et péchés, avec un système génératif où les enfants des personnages peuvent prendre la relève dans les parties suivantes.
- Horrifique (2023) : Publié par Designed By Acritarche et écrit par Frédéric Ghesquière, Horrifique est un jeu motorisé par l’Apocalypse (PbtA) qui propose d’émuler l’horreur lovecraftienne. Le jeu se distingue par ses mécaniques narratives qui font constamment rebondir l’histoire et sa simplicité de prise en main – aucune préparation n’étant nécessaire pour jouer. Une « Horloge de l’Horreur » rythme la progression de l’effroi pendant la partie.
- Space Horror Stories ( fin 2023) : Ce jeu récent se concentre sur l’horreur spatiale en huis clos. Les joueurs peuvent se retrouver pourchassés par un monstre extraterrestre dans un vaisseau à la dérive, emprisonnés dans une station hantée ou traqués par des entités cosmiques indicibles sur une colonie abandonnée. L’inspiration vient clairement de films comme Alien, Event Horizon ou Pandorum.

© 2025 – Article crée et illustré par Fletch, Spécialiste en curiosité numérique.
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