Le silence s’installe. Le Maître de Jeu vient de décrire un groupe de gobelins embusqués, et chaque joueur cherche fébrilement son nom sur la liste d’initiative. Cette pause, ce rythme haché qui brise l’immersion, est une expérience que nous connaissons tous. Et si on s’en débarrassait ?
Le système de combat sans initiative de Daggerheart ne se contente pas de jeter le dé de d20 aux oubliettes ; il propose de réinventer la dynamique même de l’action. Plongeons dans cette mécanique audacieuse pour comprendre comment elle transforme le chaos apparent en une chorégraphie narrative.Le Combat sans initiative dans Daggerheart : Une Conversation en Pleine Action

Pour comprendre l’absence d’initiative, il faut cesser de penser au combat comme à une succession de tours. Il faut l’imaginer comme une scène de théâtre d’improvisation ou un plan-séquence au cinéma. L’action ne s’arrête jamais ; la caméra (le “spotlight” narratif) se déplace simplement d’un acteur à l’autre en fonction de la logique de la scène.
L’action est dictée par la fiction. Le joueur qui agit est celui qui est le plus logiquement en position de le faire. Si le barbare défonce la porte, il est probablement le premier à faire face aux gardes. Le MJ n’a qu’à poser la question ouverte : « La situation est explosive. Qui veut prendre les devants ? ».
Aider est une action fondamentale. Plutôt que d’attendre passivement son tour, n’importe quel joueur peut déclarer vouloir aider l’acteur principal. Ce soutien n’est pas qu’un simple bonus mécanique ; il est intégré à la narration. Le guerrier peut attirer l’attention d’un monstre pour permettre au mage de lancer son sort.
L’Écho : l’action combinée. Une fois par session, les joueurs peuvent utiliser un Écho, une action combinée spectaculaire. C’est la quintessence de cette philosophie : le groupe tout entier se synchronise pour un effet dévastateur, renforçant l’idée que la victoire est une affaire collective.
Les Vertus d'un Champ de Bataille Dynamique

Le système de combat sans initiative, bien que déroutant au premier abord pour les vétérans du JDR, offre des avantages considérables pour l’immersion et l’engagement des joueurs. À l’heure où j’écris ces quelques mots, j’ai pu faire jouer Daggerheart à l’occasion de 5 parties pour un total de 3 groupes de joueurs différents : je vous livre mon expérience…
- Une attention de tous les instants : Puisque n’importe qui peut agir ou aider à tout moment, il n’y a plus de temps mort. Les joueurs ne sont plus sur leur téléphone en attendant que leur tour arrive. Ils doivent écouter, observer, et chercher des opportunités dans les actions de leurs camarades. Quand Elara la magicienne annonce qu’elle prépare une boule de feu, Kael le guerrier peut immédiatement réagir : « J’utilise mon bouclier pour la protéger pendant son incantation ! ». L’action de Kael n’attend pas un tour, elle répond directement à la narration.
- La collaboration au cœur du combat sans initiative : Le système incite mécaniquement les joueurs à penser en équipe plutôt qu’en individus. Chaque action d’un joueur devient une “perche” tendue aux autres, une proposition pour construire ensemble. Par exemple, si le roublard crie : « Je lance une bourse pleine de cailloux pour faire du bruit à l’autre bout de la salle ! », c’est une invitation claire pour que le reste du groupe profite de la diversion pour se faufiler.
Du Chaos à la Chorégraphie : L'Art de maîtriser le combat sans initiative

Cette liberté narrative, si exaltante soit-elle, s’accompagne de défis qu’il est crucial d’anticiper. Un système aussi libre repose sur une bonne gestion humaine et des attentes claires à la table.
Le syndrome du "Projecteur" : Canaliser l'enthousiasme

La liberté d’agir peut être monopolisée par les joueurs les plus extravertis ou dominants. Le rôle du MJ est ici de devenir un chef d’orchestre, distribuant le “spotlight” narratif. Si un joueur a déjà agi deux fois de suite, le MJ peut se tourner vers un autre joueur plus discret : « Marcus, pendant que Thorgar fracasse tout, tu remarques que le chef des gobelins essaie de s’enfuir par une trappe. Que fais-tu ? ». C’est une manière directe et diégétique de passer la main.
Le paradoxe du joueur discret : Le dernier mot des silencieux
Une règle optionnelle et souvent naturellement émergente aux tables de Daggerheart veut qu’un joueur ne peut agir à nouveau que lorsque tous les autres sont intervenus. Elle donne paradoxalement le pouvoir de conclure la scène aux joueurs les plus hésitants.
Les joueurs les plus proactifs se jetteront dans la mêlée en premier. Mais comme l’intensité narrative d’un combat monte crescendo, les dernières actions sont souvent les plus décisives : le coup de grâce, le sauvetage in extremis… Les joueurs les plus discrets se retrouvent donc souvent avec les clés des moments les plus mémorables, ce qui peut être un formidable outil pour les valoriser.
Aux Racines du Chaos : Une Brève Histoire des JDR Sans Initiative
Daggerheart ne sort pas de nulle part. Il s’inscrit dans une tradition de jeux de rôle narratifs qui ont cherché à s’affranchir du carcan du tour par tour.
L’impulsion des jeux “Powered by the Apocalypse” (PbtA) : Des jeux comme Apocalypse World ou Dungeon World ont popularisé l’idée que les actions sont déclenchées par la narration. Il n’y a pas de tour. Quand un joueur décrit une action qui correspond à un “Move”, celui-ci se résout.
L’héritage de l’Indie-RPG : Des systèmes comme FATE ont introduit des concepts comme l'”initiative popcorn”, où le joueur qui vient d’agir passe le relais au joueur de son choix. Des jeux comme Blades in the Dark ont poussé la logique encore plus loin, où le combat est géré comme n’importe quelle autre scène.
Daggerheart, une synthèse accessible : La force de Daggerheart est de prendre ces concepts, parfois perçus comme “de niche”, et de les polir pour un public plus large, en les encadrant avec des mécaniques claires comme l’Aide et l’Écho.
Votre Table, Votre Scène d'Action : Mettre en Pratique

En abandonnant l’initiative, Daggerheart ne fait pas que changer une règle ; il redéfinit le contrat social de la table de jeu, exigeant écoute et collaboration. Pour le Maître de Jeu, cela signifie s’éloigner du rôle d’arbitre pour ce consacrer plus avant à la mise en scène. Pour les joueurs, c’est une invitation à devenir les chorégraphes de leurs propres scènes d’action. À votre prochaine session, avant le premier choc de l’acier, posez cette simple question à votre groupe : « Qui a une idée géniale pour commencer, et qui veut l’aider ? ». Vous pourriez être surpris de la magie qui en découle.
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FAQ - Combat sans initiative
- Le combat sans initiative dans Daggerheart est-il adapté aux joueurs débutants ?
Absolument. Il peut même être plus intuitif car il se rapproche d’une narration naturelle. Le principal défi pour le MJ débutant sera d’apprendre à bien distribuer l’attention entre les joueurs, mais le système encourage des réflexes de jeu très sains. - Comment gérer un combat contre un grand nombre d’ennemis sans initiative ?
Le MJ peut regrouper les ennemis en “groupes de menace”. Plutôt que de gérer 10 gobelins individuellement, il gère 2 ou 3 groupes qui agissent comme une seule entité, simplifiant la narration et maintenant la pression sur les joueurs. - Que se passe-t-il si aucun joueur ne veut prendre l’initiative ? C’est une opportunité en or pour le MJ ! Si les joueurs hésitent, c’est que les ennemis ne le feront pas. Le MJ peut alors annoncer une action ennemie dévastatrice, ce qui forcera les joueurs à réagir de manière défensive et relancera l’action.
© 2025 – article crée et illustré par Fletch, votre Spécialiste en curiosité numérique.
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